Marie-Caroline Allaire-Matte
Mai 2017
Entretien à propos de l'exposition Hôtel Moebius à Hôtel Flottes de Sébasan, Pézenas, production IN SITU 2017.
MC.AM/ Les quatre sculptures qui occupent une salle du rez-de-chaussée de cet hôtel particulier ont été réalisées pour ce lieu. A quoi se réfère le titre ?
SL/ Le titre Hôtel Moebius correspond à une analogie entre la fonction initiale de l’hôtel et une structure mathématique décrite pour la première fois en 1858 par August Ferdinand Möbius. Contrairement à un ruban classique qui possède deux surfaces, l’anneau de Moebius n’en possède qu'une seule. Figure de l’infini, cette structure produit des renversements dans la représentation de notre l’espace tridimensionnel. Son pouvoir de fascination s’exerce autant dans les mathématiques, la psychanalyse, que l’art. J’ai cherché à révéler la beauté de cette structure emblématique en l’associant à un archétype issu de l’architecture : une silhouette d’habitation unissant le plancher, les murs et le toit.
A travers un protocole de déformation paramétrique, par un jeu de rotation, les surfaces horizontales et verticales pivotent et s’entrecroisent jusqu’à se refermer. Leurs faitages basculent pour former des espaces clos. La première de ces quatre silhouettes d’habitation est homéomorphe à un anneau simple, tandis que les trois suivantes correspondent à des anneaux de Moebius. L’intérieur et l’extérieur ne sont plus distinguables. Ces cheminements temporels et combinaisons de points de vue relèvent d’une construction logique qui agit comme un révélateur sur l’ensemble de cette recherche.
MC.AM/ Tu viens de faire une exposition à Villeneuve-lès-Avignon avec le FRAC LR, à la Chartreuse et dans la Tour Philippe Le Bel en apportant également des réponses in situ. Quels sont les éléments que tu prends en compte pour commencer ton travail dans le cas d’une proposition comme celles-ci ?
SL/ Etant designer, la question du contexte est inhérente à ma pratique. Même s’il est rare que je réponde à des usages, lorsqu’on me propose une exposition in situ, j’examine d’abord les fonctionnalités auxquelles ces lieux étaient rattachés initialement. Jusqu’alors, j’ai surtout été amenée à porter un regard sur des architectures séculaires qui témoignaient d’une volonté de pouvoir militaire ou religieux. J’observe leurs formes afin d’extraire une matrice idéale sur laquelle s’appuyer. La géométrie de l’espace en question est-elle fermée ou ouverte ? A quelle fonction correspond tel élément remarquable ? Un espace d’isolement comme la Chartreuse entraîne la manipulation de formes closes comme la sphère, tandis que la tour Philippe Le Bel induit des notions de déplacement et de mesure.
Par ailleurs, la création d’une œuvre pour des sites aussi chargés entraîne nécessairement une mesure du temps qui passe. Ces bâtiments ont traversé plusieurs siècles, ils renvoient à notre propre fugacité. J’essaye de mettre en exergue ce passage du temps, visible dans l’irrégularité des bâtiments et la granularité des murs, en créant des sculptures aux surfaces lisses et aux géométries parfaites. C’est le cas de l’hôtel Flottes de Sébasan, pour lequel j’ai fait appel à un industriel spécialisé dans le pliage de tôle. Ce matériau s’accorde avec l’idée d’un ruban continu, le projet ayant d’abord été conçu avec des simples feuilles de papier plié. Plus encore, le geste industriel permet une neutralisation du geste créatif.
MC.AM/ Il a été souvent question du jeu dans ton travail, est-ce le cas dans cette œuvre ?
SL/ Comme pour de nombreux d’artistes, le jeu est à l’origine de toutes mes propositions plastiques. Il s’agit sans cesse d’élaborer des principes de détournement, d’inventer des logiques. Il y a quelques années, je détournais des vrais jeux, des mikados, des dés ou des dominos, dans l’optique de créer des déplacements poétiques. Depuis peu, je mets les objets à distance au profit de formes génériques, connues mais néanmoins ouvertes. La création de volumes suggérant des maquettes d’habitations correspond d’ailleurs à cette recherche de simplification.
Pour chaque projet, la matrice une fois posée, je mets en place des paramètres de déformation qui peuvent se combiner ou se soustraire à l’infini. Ce processus de création est à la fois rationnel et sensible. Exposés côte à côte sans autre agencement que leur chronologie, les volumes obtenus révèlent des différences que l'on peut combiner à loisir. Elles peuvent être présentées dans différentes configurations: dans leur ensemble, par petits groupes ou individuellement. Chaque série de déformation peut constituer un nouveau départ pour la suivante, transformant l’intention initiale vers un nouvel acte de création.