Hanna Alkema
Mai 2012, pour l’exposition personnelle Distorted, à la ToolsGalerie.
Les objets de Suzy Lelièvre semblent souvent animés d’une vie propre. Rétifs à adopter la forme que l’on attend d’eux, ils obéissent à une logique autre qui bouleverse l’état de la matière et le champ gravitationnel. Son travail sur la table en bois laquée illustre une rébellion de l’objet contre lui-même et ce faisant, contre les normes de la standardisation. Qu’il se cabre, avec la souplesse d’une feuille de papier ou qu’il imprime dans la matière l’onde du choc provoquée par un corps-à-corps avec un tabouret, le bois se fait élastique et malléable, presque sensuel, avec une simplicité apparente qui cache une véritable prouesse technique. Suzy Lelièvre aime raconter des histoires, de celles où l’objet standardisé prendrait un chemin de traverse, sortirait de la chaîne de production industrielle et se libérerait de ses contraintes, physiques et utilitaires. Elle aborde les archétypes du mobilier comme un langage dont elle déconstruit la syntaxe, provoquant des glissements de sens et des jeux de mots. Le jeu est d’ailleurs un autre des espaces normatifs qu’elle s’attache à défaire, en s’emparant des formes séculaires de jeux populaires pour mieux en déjouer les règles. La rencontre fortuite d’un miroir et d’un tangram – qui n’aurait pas déplu à Lautréamont – fractionne la surface réfléchissante en éléments géométriques modulables, source de formes et d’assemblages infinis. Si les tables et les miroirs restent des objets dont on peut faire usage, les dominos, les dés et les mikados de l’artiste posent plus radicalement la question du rejet d’une fonctionnalité assignée. Les jeux refusent de jouer le jeu ! Et les petits points noirs qui ornent les faces blanches des dés et des dominos semblent irrémédiablement attirés par une force magnétique, à même de déranger leur ordre comptable. À rebours de la logique de réification actuelle, Suzy Lelièvre s’emploie à insuffler aux objets qu’elle crée un semblant de libre-arbitre et d’esprit de transgression.