Arnaud Fourrier
Décembre 2019
L’ornement peut-il être à la fois ascétique, prolifique, systémique et sensible? Oui. Héritière des modernes, l’oeuvre de Suzy Lelièvre est abstraite, incarnée et généreuse. Depuis ses années à l’ENSCI, l’artiste sétoise explore les propriétés formelles intrinsèques des matériaux. Sa recherche cite la morphogenèse, flirte avec le design mais surtout avec la topologie - cette branche des mathématiques qui étudie les capacités de déformations continues des objets géométriques. Sous ses mains, une forme en papier ou un simple cube de mousse est ainsi soumis à un processus de déformation selon des protocoles stricts consistant à presser, inciser, plier et tordre la matière. Initié en 2014, le projet des « déformations continues » est une recherche empirique, compulsive et sensible sur les formes que peuvent générer des concepts géométriques lorsqu’ils sont soumis à déformation. Avec un plaisir avoué d’expérimenter et de jouer avec les formes, l’artiste met ainsi à l’épreuve du réel ces objets mathématiques. Ses « déformations continues #8 » s’attaquaient au rond; la #9 à la sphère. Pour les « déformations continues #3 », Suzy Lelièvre demandait à une tapissière de mener un ensemble de manipulations sur un cube de mousse comparable à ceux utilisés pour le rembourrage. Confiés ensuite à un céramiste pour être figées dans le grès, il résulte de ces manipulations une profusion de formes sensuelles et poétiques où le regard se plait à plonger. « Je rattache l’ornement à des phénomènes physiques et à la manière dont on pose un regard sur des formes », dit t-elle fort justement.