Emmanuelle Lequeux
Février 2009, pour le catalogue du Salon de Montrouge.
Suzy Lelievre n’a pas pris le parti des choses : chaque objet du quotidien se transforme sous ses doigts en forme incongrue, et le plus humble outil prend chez elle des voies de traverse. Une éponge s’orne des circonvolutions d’un cerveau, une échelle part en spirale, un toboggan s’attife d’un nœud, un plat de nouilles donne naissance à sa fourchette, elle aussi en pâte alimentaire… Quant aux tables, elles s’accouplent entre elles en se pliant sous l’effort, ou se nouent de façon irrémédiable avec la chaise qui les accompagne. Formée aux Beaux arts de Nîmes (où elle est passée par l’atelier d’Hubert Duprat), puis de Lyon, cette jeune artiste s’est vite fait experte en transgressions légères : elle s’approprie et métamorphose tous les éléments de la domesticité. Dans son oeuvre, le réel part en vrille, en légères torsions, pour engendrer des figures qui sont à la frontière de l’art et du design ; d’un design qui se refuserait à la fonctionnalité et à l’usage, pour produire plutôt des silhouettes mutantes, et des jeux de matière. Quand Suzy Lelievre sculpte des grilles de magasin, c’est dans le papier. Des barrières de protections ? Elles s’avèrent en plâtre. Adepte de la dérive et du détournement poétique, cette artiste s’inscrit dans la lignée d’Erwin Wurm ou de Frank Scurti. Mais l’usage de la 3D a commencé à lui ouvrir de nouvelles voies: que ce soit un entonnoir dégoulinant de lait ou une bouteille qui se penche en arrondi pour s’enchâsser dans un verre à pied, les nouveaux objets qu’elle imagine ne prendront pas nécessairement forme, et resteront peut-être à l’état virtuel d’images. L’essentiel, pour elle, est « d’animer » ces objets: à cet égard, elle évoque souvent le designer italien Andrea Branzi, qui voyait ses productions comme des objets amicaux, à la présence presque animale.