Projections redressées
Mai 2015. Parcours d'expositions, Chemins d'Art en Armagnac, avec Le Gentil Garçon, Liu Jia, Alexandros Markeas, commissariat Solenne Livolsi, Maignaut-Tauzia. Tous crédits photos Marc Le Saux.
Ce projet s’est élaboré en considérant le Pigeonnier-Octroi au sein du territoire plus vaste de Maignaut-Tauzia. Ce passage d’une échelle à une autre – d’un bâtiment à une commune – m’a semblé un terrain propice à la création d’une série de pièces qui déconstruisent, déforment et recomposent différents outils utilisés pour cartographier et mesurer un territoire. Pour l’intérieur du pigeonnier, j’ai conçu une série de trois volumes en papiers. Chacun d’entre eux correspond à la projection imprimée du plan cadastral communal sur des formes géométriques élémentaires tel le tore ou la demi-sphère. Leur centre est comme absorbé par une distorsion de l’espace-temps. Par ailleurs, le socle sur lequel ces maquettes sont présentées fait écho à la forme triangulaire du pigeonnier. Contrairement aux autres bâtiments de même nature de la région, la géométrie de cette bâtisse, dont les raisons sont aujourd’hui oubliées, a aussi constitué un élément de distorsion réel et inspirant.
Dans l’entrée de la Mairie sont présentées trois propositions qui s’appuient sur différents instruments de mesure. La pièce Infinies réductions détourne l’archétype d’une règle à échelles de réduction triangulaire, outil couramment utilisé pour la topographie, les travaux publics, ou dans le bâtiment. Ici, les différentes graduations s’enroulent et s’entortillent pour créer un objet hélicoïdal, en perte de mesure et aux échelles incertaines. Posé sur la table dédiée au plan cadastral, la pièce Variations graduées s’appuie quant à elle sur un protocole de déformation paramétrique en courbant les graduations d'une règle de 30cm avec un logiciel de dessin assisté par ordinateur. Composées par corrélation de courbes, les formes obtenues sont figées dans un état mi-organique, mi-géométrique. Gravée sur du plastique transparent orangé, cette pièce fait référence au fameux perroquet utilisé en architecture pour le traçage de courbe. Il est donc question d’une mise en abîme de l’outil de mesure : une règle à l’intérieur de la règle. Enfin, les contours sinueux de la règle d’écolier Dunkerque – Barcelone par voie terrestre correspondent à un possible trajet terrestre entre Dunkerque et Barcelone. Le choix de ces deux villes correspond à la genèse du mètre étalon, officiellement défini en 1791 par l'Académie des sciences, et correspondant à la dix-millionième partie de la moitié du méridien. Pour établir précisément et concrètement cette valeur, deux scientifiques, Jean-Baptiste Joseph Delambre et Pierre Méchain, furent alors chargés de mesurer la distance entre Dunkerque et Barcelone. Pourtant Pierre Méchain fit une erreur de calcul due aux instruments utilisés pour mesurer, erreur qu’il dissimula jusqu’à sa mort. Cette fraude constitue une formidable ouverture imaginaire, car elle questionne le caractère irrévocable de la norme.